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Introduction : d'où je parle... De par mon parcours, je suis davantage un praticien qu'un théoricien. J'essaie néanmoins, comme tout un chacun, de réfléchir sur ma pratique... J'ai d'abord joué de la guitare dans différents petits groupes avant de faire partie du groupe Crëche qui eut quelque notoriété dans les années 70. Aujourd'hui, je travaille au sein de la compagnie Mosaïque, une association regroupant des disciplines variées: quatuor classique, quintette de jazz-rock, danse contemporaine, audio-visuel... J'aime bien la diversité: c'est une espérance pour la musique et les musiciens de voir que les frontières entre les différents genres sont en train de se briser. Spontanément, j'ai été amené à faire partager ce que je savais faire à ceux qui ont envie de s'exprimer par la musique, en particulier les jeunes. Je suis alors devenu formateur à l'École de Danse et de Comédie Musicale de Sens, avant de fonder mon propre Atelier Vocal. Pardon d'avance à ceux qui trouveront que cette intervention ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes... D'autres y découvriront peut-être des éléments nouveaux. Mon propos est simplement de vous faire partager quelques convictions. 1. CHANTER, UNE VIE Le rôle de l'animateur Chanter, pour moi, est avant tout une envie. Si ce n'est pas une affaire de plaisir, cela devient vite une corvée. Je connais des gens qui ont oublié ce que «jouer» de la musique veut dire. Le chant comme la musique doivent être pour tous, me semble-t-il, une activité ludique. En cela le rôle de l'animateur est primordial: il consiste à effacer les difficultés et à promouvoir les conditions nécessaires. Supprimer les obstacles Il faut tout d'abord remédier à cet état d'agitation perpétuelle dans lequel nous plonge la vie moderne, les plus jeunes en particulier. Je compare parfois mes élèves à une pile chargée d'excitation: il faut les mettre à la masse, à la terre, les aider à retrouver une attitude sereine face à la musique. C'est pourquoi mes cours débutent par un moment de respiration profonde pour apprivoiser son corps et retrouver un bon rapport au sol. Temps perdu, diront les uns. Temps gagné, à mon avis. C'est l'échauffement des sportifs. La concentration est essentielle dès lors que l'on a quelque chose de difficile à faire. Autre obstacle: la timidité. Il faut du temps pour accepter sa voix. Je pense qu'il y a, peut-être particulièrement en France, des peurs liées au chant. On écoute de plus en plus de musique, on chante de moins en moins. Et donc on a peur de chanter. Il faut retrouver la confiance en sa voix. Répéter à un enfant qu'il chante faux l'enferre dans son handicap (ce que j'appelle «le syndrome Assurancetourix»). Créer les conditions favorables L'animateur est là pour donner l'envie de chanter, et la possibilité de s'entendre. Lors de l'apprentissage, l'humour, le jeu, tiennent une place importante (trop de «répétitions de chant» sont ennuyeuses). Et puis, l'animateur saura créer les conditions de disponibilité physique (environnement agréable, bon placement des chanteurs). Enfin, il permettra rapidement l'accès au plaisir du chant, à une musique un peu élaborée, avec l'aide d'instruments, et -pourquoi pas?- d'une bande play-back. Maximum de musique, minimum de baratin... 2. CHANTER, UNE EXPRESSION Le chant intérieur S'exprimer, au sens premier du terme, c'est «presser dehors». Et donc d'abord écouter le chant intérieur. Entendre en soi la chanson, sa mélodie, son rythme, sa tonicité, avant de la produire: elle est interne avant d'être projetée. 
S'entendre Puis, on écoute sa voix, avec le projet de la trouver belle. C'est pourquoi je propose à l'élève de former un cône avec sa main le long de la joue, comme un combiné téléphonique, allant de la bouche à l'oreille. Ou bien de chanter avec un album de bande dessinée (mieux encore, une pochette de disque 33 t double) en paravent sur les épaules. Aux adultes, je propose de chanter face à un coin de pièce (j'évite de le faire avec des enfants qui pourraient se sentir “mis au coin”). On profite ainsi du son produit (plus naturel qu'avec un micro et un casque). Pour les gros problèmes de justesse, je me place derrière l'élève et je lui chante la note dans l'oreille : la voix s'ajuste alors assez facilement. Chanter physiologiquement faux est rarissime, il s'agit plus souvent d'un mauvais rapport voix-oreille. Entendre les autres Exprimer, c'est aussi écouter les autres, mettre sa voix en harmonie avec celle des autres. Je travaille par exemple la technique du «bol tibétain»: les élèves sont en cercle, épaule contre épaule, et chantent une note vers le centre, en s'efforçant de la façonner pour qu'elle soit la plus belle possible. S'adresser à l'autre Exprimer, c'est aussi sortir de soi. Pour cela, j'utilise beaucoup la balistique, la destination de la voix. - Sans l'intention que j'ai actuellement de m'adresser à vous, ma voix, même amplifiée par ce micro, ne vous parviendrait pas. Je serais entendu mais pas écouté. - Pour travailler cet aspect, je place les élèves à trois mètres d'une photo de visage et leur demande d'interpeller («Eho!») ce personnage virtuel, en groupe d'abord, puis séparément. Puis on recule progressivement, de trois mètres à chaque fois: la voix s'élargit, sans être plus gutturale. Chanter large est une question d'in-tension. Ce n'est pas exactement la même chose que chanter fort. La musicalité des mots Enfin, exprimer c'est raconter. Raconter des histoires, des paroles en musique. Les mots en eux-mêmes contiennent la musicalité du chant. Il faut découvrir leur rythme interne avant de se demander comment «l'exécuter»(mot affreux qui renvoie aux exécutions sommaires!). Un interprète fait vivre la chanson, un exécutant la fusille. En ce sens, une partition est un tombeau de mots et de notes à ressusciter. 
3. CHANTER, UNE DYNAMIQUE Les enfants de la Télé Lorsque je m'annonce comme chanteur, les enfants singent l'attitude physique des vedettes de rock qu'ils voient dans le poste. Pour eux, le chant n'est pas statique. Et cette dynamique du corps ne peut être absente du travail pédagogique. Très vite, j'inscris le chant dans un balancement corporel, je propose des jeux rythmiques et parfois des battements de mains hérités du Gospel (claquement sur le contre-temps... et non sur le temps!). 
Chanter nous renvoie à notre centre dynamique Le chant nous conduit à nous re-centrer dans notre ventre, à nous enraciner. Notre civilisation occidentale a tendance au contraire à nous centrer dans la tête. Et les émotions bloquent poitrine et gorge. Il faut réapprendre à respirer profond, et à souffler surtout, d'un souffle large qui s'appuie sur toute la ceinture (ce que j'appelle «le sac de blé»). Ensuite, pour sentir la direction du chant, je fais souffler («sarbacane») puis chanter dans une paille. Chanter est une activité sportive Le chant n'est pas essentiellement une activité cérébrale, mais une activité musculaire. Quand j'ai des difficultés avec des élèves qui ont du mal à s'investir dans le chant, je leur demande de chanter en marchant, ou d'appuyer les mains sur un dossier de chaise, en s'imaginant qu'ils enfoncent une charrue dans la terre... Et comme pour toute activité sportive, on doit respecter ses muscles: les muscles vocaux en l'occurrence. La première des précautions est l'élargissement et la souplesse du larynx, que je travaille essentiellement par des exercices de bâillement et des «grommelots». Chanter nous unifie Le chant nous unifie lorsque la respiration est circulaire (et non pas binaire: je respire, stop, je souffle, stop...). Flux et reflux de la vie, roue qui tourne. Et à la question habituelle: «faut-il respirer par la bouche ou par le nez?» je réponds: «par tous les pores de la peau». Chanter nous élargit Le chant nous élargit lorsqu'il s'amplifie des résonateurs de la face d'abord, mais aussi de tous ceux du corps. On ne chante pas essentiellement par la bouche, par la gorge ou les cordes vocales mais par tout l'être. Alors ce n'est plus ma voix, mais moi qui chante. Chanter nous construit Le chant nous met debout dans cette dynamique verticale qui nous a fait passer à l'homo erectus, et grâce à laquelle le langage articulé s'est développé. Tout me porte à croire qu'il en va du chanteur comme d'un arbre: un solide enracinement dans le sol des origines, une respiration par le tronc, les branches et les feuilles, une élévation paisible, une propension à devenir forêt... Le vent fait le reste. Chanter nous lance en avant Enfin, le chant nous met en marche, lorsqu'il est compris comme une dynamique de la phrase et de la mélodie. 4. CHANTER, UNE ACTIVITÉ SOCIALE Chanter appelle le groupe La chorale et l'orchestre sont les corollaires du chant. Dans le meilleur des cas, celui-ci favorise l'écoute des autres, l'écoute d'autres musiques. Le rôle de l'animateur est alors primordial: il met ses compétences musicales et son autorité d'adulte au service du projet commun. Il encourage les compétences, dédramatise les échecs, donne cohésion au groupe. Il fait grandir. Il n'est plus un censeur, mais un partenaire privilégié. Chanter, c'est faire un cadeau Ce sera parfois l'enregistrement d'une cassette ou d'un disque, ou la rencontre des auditeurs sur scène: une occasion, même si la prestation n'est pas parfaite, de vaincre sa timidité et surtout d'aimer son public. Parce que je crois que chanter c'est faire un cadeau. 5. CHANTER, UNE TECHNIQUE Chanter n'est pas réservé uniquement aux professionnels du disque. Mais, c'est vrai, on ne s'improvise pas plus animateur de chant que chef d'orchestre. Les pédagogues concernés par cette activité seront respectueux des voix, des voies de chacun. Pour que chacun ait la voix qui lui ressemble... Ils entreront dans un projet, sans plaquer leurs propres fantasmes sur telle ou telle voix, mais en essayant d'y reconnaître ce qui s'y trouve déjà en jachère, ce qu'il y a de meilleur. 

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