La Croix, 3 mai 1984

«Tu as donné à l’Évangile

UNE RÉACTION DE GAËTAN DE

À la mort du Père Duval, nous avons demandé une réaction à Gaëtan de Courrèges, chanteur et compositeur:

Qu’est-ce que j’ai dans ma petite tête à pleurer comme ça, ce soir? Il nous avait pourtant prévenus de longue date: Le Seigneur reviendra, il l’a promis. Le ciel était au coin de sa rue: après avoir hésité longtemps, il vient de passer le carrefour, tout simplement. Il aspirait tant à cette ultime rencontre qu’elle ne pouvait plus être une surprise : alors, tu es là, je te vois découvert, je vois ton visage et la table où tu mets deux couverts...

Aimé, ce soir, je voudrais te remercier de la part d’un grand gosse de 13 ans. Avec tes petites chansons, tu lui as appris deux ou trois choses toutes simples : que la foi, d’abord, n’est pas échafaudage de principes, mais rencontre. Comme tant d’autres, les principes patiemment ingurgités à l’ombre des pupitres ne me faisaient pas vivre. Toi, tu me parlais des petites gens, de leurs tendresses et de leurs colères, de Monsieur Jésus-Christ, surtout. Tu redonnais à l’Évangile son goût de pain frais: le ciel est rouge, il fera beau. J’ai joué de la flûte sur la place du marché et personne avec moi n’a voulu danser...

Et, du coup, j’ai pris en grippe toutes les idéologies qui font oublier les visages. Tu chantais, et la foi n’avait plus cette odeur de vieille sacristie. Elle ne récitait plus ses phrases par cœur, elle choisissait son vocabulaire dans le dictionnaire de tout le monde. La foi faisait de la poésie avec les mots de tous les jours.

Du coup, je ne supporte plus les chansons et les cantiques tarabiscotés, rabâcheurs, bien-pensants.

Tu m’as appris la foi au quotidien, en quelques mots libres et amicaux, et je me souviens du courant d’air frais qui traversa la classe ce jour-là, soulevant la poussière, poussant à l’aventure. Du coup, j’ai récupéré une vieille guitare, j’en ai fait un pont au-dessus d’un fossé de timidité et de convenances. J’ai inventé des mots passerelles, des petits mots, des petites musiques, des petits disques tournant en rond et qui répètent inlassablement la même chose : on ne peut rencontrer Dieu autrement qu’à travers l’homme.

CDRom et livre ... Articles : Panorama 01/2003 Adieu