DebruynneAnge

Jean Debruynne

Heureux enfant, j’ai eu trois pères: Paul de Courrèges, qui me donna la vie; Aimé Duval, qui me donna l’envie de chanter; et Jean Debruynne, qui me donna la rage des mots. Tous trois ont rejoint les verts pâturages. Il me faut donc devenir adulte, c’est-à-dire assumer l’héritage. Aujourd’hui, je parlerai de Jean.

Mais les images se bousculent, comme des photos dentelées jaillies d’une boîte à chaussures:

1967: première rencontre avec ce petit homme à la bouille d’enfant farceur. C’était à Jambville, avec Raymond Fau. Jean était l’aumônier national de la branche Rangers. Et il écrivait, sur un bord de table «L’horloge de la gare tricote des aiguilles...». Un hommage à Prévert, son maître.

1971: les Folk-Psaumes, avec Raymond Fau, toujours, et mes copains du Crëche. «Jean, tu pourrais me redire le Psaume 26? Tu sais: Ma lumière et mon salut... pour qu’il s’évade des bréviaires et se chante sur les places.» Et Jean m’a écrit Alors je chante, qui est devenu ma Marseillaise à moi.

1974: je nous revois dans sa petite chambre au lit monacal, rue de la Butte aux Cailles. On écrivait La fête des Santons. C’était chaleureux. Sur la pochette du disque, je l’ai dessiné sous les traits d’un angelot plumitif. (Ci-dessus)

1975: «Allo, Gaëtan. J’ai écrit un texte pour les Aumôneries de Paris. Ils croyaient que je composerais aussi la musique !!! Tu peux leur faire ça pour vendredi?» - «C’est mission impossible, Jean, mais je vais essayer.» Le vendredi, j’apporte le chant à l’aumônier qui me dit: «C’est inchantable». Aujourd’hui, il est évêque, et Quittez vos basses eaux est devenu un tube.

Et puis toutes ces années de «Fou Libre» avec Noël, Jean-Pierre, François, Jacques et les autres. On était fous, on était libres. Jean décryptait les «murs de la Parole» taggués par les jeunes. Depuis, il y a de plus en plus de murs, et de moins en moins de Parole.

1978: Une «route chantante» diluvienne en Auvergne (les Puys ou les puits?) Nous partagions la même tente: «Tu vois, j’ai gardé mon jean’s pour dormir: ce matin, au moins, il est tiède.»

1982: Le Festival des Comédies Musicales, à Pontigny. Cinq jours pour écrire, mettre en scène et jouer un spectacle. Utopie. On ne craignait ni la fatigue ni les critiques. Il en reste une chanson: Entre les ombres et la lumière, et des amis.

Il y a aussi toutes ces soirées avec le groupe... (tiens, un groupe sans étiquette !) de Françoise. Réflexions et coups de gueule, choucroute, garbure ou canapés... Et Jean qui extirpait soudain de son lourd sac-à-mots un article en chantier: «J’ai envie de vous le lire...» et il lisait, d’une bouche gourmande.

Puis sont venues les années raisonnables. Nous n’étions plus à la mode, et Jean était suspect de n’écrire que des jeux de mots. En réalité, il avait fallu tout ce temps pour comprendre que le petit homme tranquille, loin de faire tourner le système, était de plus en plus subversif. Il disait: «Écrire, c’est toujours se confronter à sa mort.»

2005: nos multiples réunions d’écriture avec Jo, Mannick et Jean: «Le médecin m’a dit: Plus vous écrirez, plus votre esprit sera éveillé. Alors j’écris.»

2006: orphelin.

Gaëtan de Courrèges

CDRom et livre ... Articles : Panorama 01/2003 Adieu

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